Megaupload fermé le 20 janvier 2012 par le FBI : Sarkozy approuve, le PS comprend, le FN et EELV dénoncent






La justice américaine a fermé jeudi 19 janvier 18 sites Web, dont les services très populaires Megaupload (téléchargement direct) et Megavideo (streaming) dans le cadre d'une vaste procédure judiciaire.Megaupload

Quelques heures après la décision de la justice américaine, jeudi 19 janvier, Nicolas Sarkozy a salué la fermeture du site de téléchargement Megaupload, accusant notamment ses promoteurs de "réaliser des profits criminels". Accusé de violation des droits d'auteur, ce service de téléchargement direct s'est imposé en quelques années dans le top 100 des sites les plus visités du monde.

"La mise à disposition illégale, par ce service, d'œuvres protégées par le droit d'auteur, permettait à ses promoteurs de réaliser des profits criminels sous la forme de recettes publicitaires ou d'abonnements de ses usagers", estime M. Sarkozy dans un communiqué publié dans la nuit de jeudi à vendredi.
Les fondateurs de la plateforme de partage de fichiers, l'un des plus importants sites de téléchargement au monde, sont accusés d'avoir entraîné plus de 500 millions de dollars de perte pour les ayant-droits et d'avoir généré 175 millions de dollars de profit via les abonnements et la publicité.
"La lutte contre les sites de téléchargement direct ou de streaming illégaux, qui fondent leur modèle commercial sur le piratage des œuvres, constitue une impérieuse nécessité pour la préservation de la diversité culturelle et le renouvellement de la création", poursuit le chef de l'Etat.
"QUE LA HADOPI ÉTUDIE L'UTILITÉ DE COMPLÉTER LA LÉGISLATION"
"C'est le financement des industries culturelles dans leur ensemble qui est mis en cause par ce type d'opérateurs. Le moment est donc venu d'une collaboration judiciaire et policière active entre Etats pour porter un coup d'arrêt à leur développement", estime M. Sarkozy.
Par ailleurs, le chef de l'Etat "invite les ministres concernés ainsi que la Hadopi [Haute autorité de lutte contre le téléchargement illégal], qui vient d'engager une consultation à ce sujet, à étudier rapidement l'utilité de compléter [la] législation par de nouvelles dispositions et à lui faire, le cas échéant, des propositions en ce sens", conclut le communiqué.
Mi-novembre 2011, le président de la République avait déjà annoncé vouloir faire évoluer la loi pour bloquer les sites de streaming ou de téléchargement direct, deux modes de diffusion que la Hadopi ne peut aujourd'hui surveiller, ni légalement ni techniquement. La Haute autorité se consacre exclusivement à la surveillance des réseaux P2P ("peer-to-peer", partage de fichiers).
UNE FERMETURE "NORMALE" POUR LE PS
Aurélie Filippetti, chargée des questions de téléchargement au sein de l'équipe de campagne de François Hollande, a de, son côté, estimé, vendredi,  au micro de France Inter, que la fermeture de Megaupload était "normale". "Nous voulons renforcer la lutte contre ce genre de sites totalement illégaux qui font de l'argent sur le dos des artistes", a-t-elle déclaré.
La députée de Moselle a réaffirmé que le PS voulait la suppression de la loi Hadopi et "développer des plates-formes légales" ainsi que "créer de nouvelles ressources", notamment par "les fournisseurs d'accès, les fabricants de matériel et des plates-formes de type Google".
Jeudi, avant l'annonce de la fermeture de Megaupload, François Hollande avait proposé de supprimer la loi Hadopi et de la remplacer par une loi prévoyant un financement de la création artistique par les acteurs de l'économie numérique.
LE FN "N'APPROUVE PAS DU TOUT"
De son côté, Marine Le Pen a pris le contre-pied de la position exprimée par Nicolas Sarkozy. Pour la candidate du FN, "l'enthousiasme manifesté" par le chef de l'Etat à l'annonce de la fermeture du site Megaupload "a de quoi laisser songeur".
Marine Le Pen, lors de la présentation de ses voeux à la presse, le 5 janvier à Paris.
Marine Le Pen, lors de la présentation de ses voeux à la presse, le 5 janvier à Paris.AFP/JOEL SAGET
S'étonnant que le chef de l'Etat ait parlé de "criminalité" au sujet du site de téléchargement, Mme Le Pen estime qu'il "en a profité pour appeler à un renforcement de l'Hadopi", dans un communiqué diffusé vendredi. Selon elle, le président de la République "fonctionne avec les internautes comme avec les automobilistes en les rackettant".
Marine Le Pen accuse également M. Sarkozy de se faire "l'ami des majors et des multinationales qui font des marges hallucinantes sur le dos des artistes et des consommateurs, et n'encouragent absolument pas la créativité".
La candidate du FN propose "l'instauration d'une licence globale pour les échanges privés sur Internet, qui doivent rester libres sans que cela ne prenne en otage les ayants-droit, producteurs, auteurs-compositeurs et interprètes". Et affirme qu'elle souhaite défendre fermement "la liberté sur Internet".
"Nous n'approuvons pas du tout la fermeture de Megaupload, car nous voulons à tout prix défendre la liberté sur Internet, insiste David Rachline, conseiller politique de Marine Le Pen aux libertés numériques, interrogé par Lemonde.fr. Nous savons qu'il est contre-productif de tenter de bloquer des sites très populaires comme Megaupload, particulièrement chez les jeunes."
LE FRONT DE GAUCHE PROPOSE "UN SERVICE DE TÉLÉCHARGEMENT PUBLIC"
Sans se prononcer directement sur la fermeture de Megaupload, le Front de gauche (FG) de Jean-Luc Mélenchon se dit "contre le filtrage d'Internet et pour la liberté de circulation", a indiqué Martine Billard, co-présidente du Parti de gauche, au Monde.fr, vendredi 20 janvier. La députée réaffirme la volonté du FG d'abroger la loi Hadopi, et d'instaurer la licence globale, estimant qu'"il vaut mieux avoir une approche coopérative que repressive" en poussant les auteurs qui le souhaitent à diffuser leurs œuvres en ligne gratuitement.

La co-présidente du Parti de gauche, Martine Billard (à gauche), avec le candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, à Paris, jeudi 13 janvier.
La co-présidente du Parti de gauche, Martine Billard (à gauche), avec le candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, à Paris, jeudi 13 janvier. AFP/JACQUES DEMARTHON
Dans ce sens, le Front de gauche propose "un service de téléchargement public", indique Martine Billard. "Cette mesure consiste à mettre en place une plateforme publique, où tous les auteurs pourraient mettre leurs œuvres gratuitement sur Internet. Ils ne seraient pas rémunérés directement mais cela leur permettrait de se faire connaître et d'attirer plus de monde à leur spectacle payant", explique-t-elle. Le gouvernement a déjà approuvé le principe de cette mesure mais ne l'a malheureusement jamais mise en place, assure-t-elle.

Mme Billard indique également que le Front de gauche est pour une réforme des sociétés de droits d'auteur, qui, selon elle, prélèvent une marge beaucoup trop importante, au détriment des auteurs. Elle se dit également en faveur d'une réforme du délai des droits d'auteur, qui a été prolongé à 70 ans et qu'elle juge "trop long", aboutissant à "une privatisation abusive des œuvres". Enfin, quand un contenu est contraire à la loi, le FG ne veut "pas rendre responsable les fournisseurs d'accès à Internet ou les blogueurs sans décision de justice".

Mme Billard déplore par ailleurs la vision de Nicolas Sarkozy, estimant notamment qu'il est "obsédé par le streaming" en critiquant l'outil, "alors que tout dépend de l'usage qui en est fait". Idem pour le peer-to-peer [l'échange de fichiers de personne à personne], selon elle.
CONDAMNATION D'EVA JOLY
Eva Joly n'approuve pas non plus la décision. "Nous devons condamner les responsables de cette atteinte aux libertés", écrit la candidate écologiste dans un communiqué, diffusé vendredi. Elle s'étonne par ailleurs que M. Sarkozy ait salué "avec un zèle dérangeant" la décision de la justice américaine.
Eva Joly, jeudi 5 janvier 2012, à Paris.
Eva Joly, jeudi 5 janvier 2012, à Paris.AP/Francois Mori
Sur le fond, Mme Joly estime que la fermeture du site de téléchargement est "un symptôme supplémentaire de l'incapacité des pouvoirs publics à se projeter au XXIe siècle et à concevoir un projet global éthique associant rémunération des auteurs et fluidité de la culture sur internet". "Faute de stratégie publique intelligente, et de réflexion internationale indépendante des lobbies, on continuera à assister à une guerre de l'industrie du copyright face aux créatures qu'elle a engendrées", ajoutE-t-elle.
Réaffirmant "son refus des dispositions répressives et de contrôle des internautes", et sa volonté d'abroger la loi Hadopi, la candidate juge "urgent de changer les termes de la discussion", en n'opposant plus "une 'riposte graduée' à de prétendus 'pirates' du partage". Elle préconise plutôt de "soutenir la création en libérant les internautes", avec "la légalisation du partage entre individus associée à la constitution d'une contribution à la création".

"PAS DE RAISON QUE CELA SOIT TOUJOURS LES CITOYENS QUI PAYENT"

Nicolas Sarkozy "tombe en réalité le masque des intérêts qu'il défend, ceux des majors, et semble oublier la solution de la licence globale qui permettrait la légalisation du téléchargement tout en protégeant les auteurs", a estimé dans un communiqué Nicolas Dupont-Aignan, candidat de Debout la République à la présidentielle.
"Il n'y a en effet pas de raison que cela soit toujours les citoyens qui payent pour accéder à la culture alors que les intermédiaires commerciaux s'enrichissent (...) Derrière les conditions et les circonstances de la fermeture du site américain Megaupload se joue en réalité le futur de la liberté d'expression sur Internet", a ajouté le souverainiste. "Je me battrai afin d'assurer la liberté et la neutralité du net" et "garantir la confidentialité des échanges", a-t-il conclu.


UN "SOUS-PRODUIT" DE LA LUTTE CONTRE LE P2P
Pour le Parti pirate, en revanche, cette fermeture n'a pas de sens, "alors que l'entreprise avait mis en place et utilisait activement une procédure de retrait de liens d'œuvres couvertes par le droit d'auteur". Il dénonce une "surenchère répressive autour du partage et de la diffusion de la culture", au lendemain d'une vaste mobilisation, aux Etats-Unis contre deux projets de loi prévoyant un filtrage direct des sites violant le droit d'auteur.
La Quadrature du Net, qui défend les libertés numériques, juge de son côté que "les énormes profits engrangés par Megaupload grâce à une centralisation des œuvres soumises au droit d'auteur sont difficilement défendables". Mais pour l'organisation, les sites de ce type ont été engendrés par "la guerre menée contre le partage pair à pair hors-marché entre individus. Après avoir promu une législation qui a encouragé le développement des sites centralisés, les lobbies du copyright leur déclarent aujourd'hui la guerre".